di Antonio Cluny
- L’histoire de l’organisation judiciaire italienne et l’engagement concret et quotidien de ses magistrats pour le soutien des valeurs constitutionnelles de l’tat social de droit n’ont pas t ignors par les autres magistrats europens.
L’histoire de votre lutte et vos contributions thoriques ont constitu une source pour nos tudes et notre rflexion. Votre exemple reprsente un stimulant pour tous ceux qui ont de la justice une ide dmocratique.
Dès lors, il n’est pas trange que la menace d’une nouvelle altration importante de l’organisation judiciaire italienne provoque immdiatement l’attention des magistrats des autres payes.
C’est pourquoi le projet de sparation des carrières de la magistrature italienne en deux corps distincts -juges et parquet-- suscite notre intrÃÂ't mais aussi notre proccupation.
Ce projet interpelle particulièrement les magistrats portugais qui vivent l’exprience de cette mÃÂ'me sparation depuis plus de vingt ans - La question du rôle du Ministère Public ne peut pas ÃÂ'tre dissocie de la problmatique des fonctions attribues aux autres organes du pouvoir judiciaire et, en particulier, aux tribunaux. Le pouvoir judiciaire est constitu par un complexe d’organes, dont, dans beaucoup de systèmes europens, la magistrature du ministère public fait constitutionnellement partie.
Dans ce contexte, le dbat sur la fonction finale et primordiale du Ministère Public va ncessairement se rpercuter sur l’analyse concrète des missions spcifiques que les Constitutions ou les lois attribuent au ministère public, missions qui, en dernière analyse, sont aussi attribues aux tribunaux, dans le contexte des fonctions rserves à l’État.
La dfense de la lgalit dmocratique se traduit dans la pliade de fonctions exiges du Ministère Public, fonctions qui ne reprsentent rien d’autre qu’une concrtisation de cette mission de dfense de la lgalit par la magistrature.La dfense de la lgalit dmocratique se traduit aussi par l’exercice de l’action pnale, une mission plus spcifiquement confie au Ministère Public.
Cependant, le concept moderne d’un tat de droit dmocratique et social impose que l’ide d’galit que le Ministère public doit dfendre devra tendre à dpasser une conception formelle de l’galit, de sorte que celle-ci puisse s’incarner dans une relle possibilit de jouir de leurs droits pour les citoyens, tant considrs individuellement qu’envisags comme corps politique librement organis et dtenteur de la souverainet de l’Etat.
La Dclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 affirme, en son article 1, que les hommes naissent libres et gaux.
Une telle proclamation doit ÃÂ'tre entendue aujourd’hui comme l’affirmation d’une possibilit et d’une capacit dont il revient à chaque socit et à chacun de nous de la raliser dans le concret. Pour que cette affirmation ne reste pas utopique, il faut suivre un chemin long et ardu visant à perfectionner les institutions qui organisent notre vie collective. Au-delà des principes, il revient à chaque humain, dans le cours concret de sa vie et dans la mesure de ses moyens, ventuellement coaliss, de lutter, rencontrer et actionner les instruments lgaux permettant de donner à cette affirmation une ralit.
Nous pouvons donc dès à prsent tablir une diffrence entre une fonction gnrale de dfense de l’galit et les fonctions concrètes de l’galit, qui impliquent de rtablir l’galit potentielle (si ncessaire en compensant les ingalits, naturelles ou sociales, constates entre certaines catgories de citoyens). Cette dernière fonction, en beaucoup de systèmes, est, aussi, attribue statutairement et lgalement au Ministère public.
Bien que dans des acceptions diffrentes, chaque fois que l’on parle de la vocation du Ministère Public en tant qu’organe de justice, surgit l’ide d’une magistrature jouant un rôle moteur dans la dfense de l’galit, ide fondamentale lgitimant l’existence du ministère public comme institution indpendante insre dans l’ordre judiciaire.L’ide d’un instrument institutionnel de l’galit des citoyens devant la loi constitue le fondement de l’existence du Ministère Public et, dans cette mesure, cette ide contribue aussi à l’indpendance des tribunaux, organes de souverainet.
Cela signifie que le tribunal, dans sa fonction de rprimer les violations de la lgalit ou de rgler les conflits, grâce à l’action du Ministère Public, agit non pas en tant que reprsentant d’une partie mais en dfenseur du principe d’galit contenu dans la loi, mÃÂ'me si les plus faibles, victimes de la violation de la loi, n’intentent pas eux-mÃÂ'mes une action.
C’est cette ide d’galit qu’il faut soutenir en toutes circonstances.
C’est cette ide galitaire de justice qu’une vision no-librale du système judiciaire essaye de mettre en cause, au nom d’une prtendue efficacit, «efficacit» qui, en tout cas, n’quivaut pas à l’effectivit des droits pour tous les citoyens.
C’est cette conception de Ministère Public qu’on veut dtruire ou, au moins, restreindre. -
Au Portugal, la division des carrières a t mise en place à l’occasion des rformes de l’organisation judiciaire imposes par la dmocratisation de l’Etat après la Rvolution d’Avril1974.
Le prtexte de cette sparation tait la ncessit de contrer l’influence que le gouvernement exerçait sur les tribunaux et sur les juges en utilisant l’action du parquet.
Rapidement on a constat que la sparation des carrières des magistratures ne suffisait pas pour que l’action du Ministère Public cesse d’ÃÂ'tre dterminante dans le travail des tribunaux.
On en a conclu que seule l’autonomie du parquet vis-à-vis du pouvoir politique pourrait viter l’influence de l’excutif sur le pouvoir judiciaire.
En consquence, cette autonomie a t consacre dans la constitution ainsi que le principe de la lgalit de poursuite.
On aurait pu croire que les conditions ncessaires à un fonctionnement correct et quilibr du système taient runies et que l’on pourrait ainsi garantir les droits des citoyens et l’indpendance des institutions judiciaires.Pourtant, les espoirs furent dçus.
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4. Quand le Ministère Public, vers la fin des annes 80 et le dbut des annes 90, a commenc à dvelopper, pour la première fois au Portugal, une activit judiciaire indpendante et capable de mettre en question la traditionnelle impunit des dtenteurs du pouvoir politique et conomique, immdiatement des voix se sont leves pour mettre en doute la lgitimit dmocratique du parquet.
La vraie nature de cet organe au sein du pouvoir judiciaire, la possibilit des titulaires des enquÃÂ'tes de donner des directives à la police criminelle, y compris dans l’enceinte du procès, enfin la possibilit mÃÂ'me de l’action autonome du parquet, ont t mises en cause.
Dans les derniers temps, des thories rvisionnistes ont surgi au sein de la doctrine, pourtant clairement favorable depuis la Constitution de 1976 à la nature judiciaire du parquet et à l’appartenance de celui-ci à l’ordre judiciaire,
Certains ont mis en doute l’ide que le parquet puisse ÃÂ'tre conçu comme une vraie magistrature, parallèle à celle des juges, comme le dit la loi.
On a redcouvert ensuite, malgr la conscration constitutionnelle du principe de lgalit des poursuites, de vieilles conceptions au sujet du rôle du parquet comme instrument d’une politique criminelle inexistante. Tout cela en diffusant l’ide que la perte d’efficacit de la justice pnale serait une rsultante directe de la rupture des liens du gouvernement avec le Ministère Public.
On a commenc aussi à soutenir que le Ministère Public serait un organe administratif et non judiciaire, ceci contre le texte et l’agencement de la constitution. En effet, le statut du parquet portugais est inclus dans un titre de la constitution ddi aux tribunaux et est plac dans un chapitre qui suit immdiatement celui qui aborde le statut des juges et prcède celui qui règle la cour constitutionnelle.
On s’est pench galement sur la doctrine du procès pnal, en dfendant l’ide d’un parquet comme une partie parmi d’autres parties, y-compris dans la phase de l’enquÃÂ'te.
Rcemment, certains ont mÃÂ'me os remettre en cause le pouvoir du parquet de conduire et de dcider la fin d’une enquÃÂ'te. Un projet avort de rforme du code a fait la suggestion de crer une phase contradictoire runissant le Ministère Public, l’inculp et la victime pour discuter du moment exact de la fin des investigations.
Et ça, quand on a djà, comme en Italie, la possibilit de recours au GIP pour vrifier si la dcision du parquet de classer ou accuser est correcte ou non.N.B. Je ne comprends pas exactement cette dernière phrase. Que signifie GIP ? Je suppose qu’il s’agit d’une phase judiciaire (chez nous, chambre du conseil, qui dcide de renvoyer ou non l’affaire devant un juge correctionnel ?. Merci d’utiliser le mot portugais en entier (et, si possible italien, si tu le connais).
Finalement, certains se font faits les chantres de l’admissibilit d’initiatives prives et parallèles de recherche des preuves.
À ce point, on est très près de dpasser la frontière d’un modèle de privatisation de l’enquÃÂ'te, du procès pnal et de la justice pnale.
D’autre part, les opinion mackers de la droite insistent, avec l’appui des avocats ou, mieux dit, en appui des avocats – trop nombreux au Portugal comme en Italie - dans la rduction du champ d’intervention du parquet en-dehors de la juridiction pnale proprement dite.
N.B. Cette explication n’est-elle pas un peu faible ou tout au moins insuffisante ? Il y a des intrÃÂ'ts internes aux professions juridiques, certes mais aussi un courant no-libral de fond et des intrÃÂ'ts des milieux qui « font » de l’argent (entreprises d’une certaine dimension…)
Toutefois, dans un pays qui a encore une culture limite des droits et la citoyennet, o la crise conomique et les difficults des couches les plus faibles de la population augmentent tous les jours, et o le Ministère Public a jou, traditionnellement, un rôle assez important dans la dfense directe des droits des secteurs sociaux moins bien protgs, cette tentative d’annuler l’intervention sociale du parquet et de privatiser ses services met en cause la protection effective des droits des citoyens dfavoriss.
Reste à voir comment notre trange gauche rsistera, en temps de rvision constitutionnelle, au chant de la sirène no-librale.
Je suis, en tout cas, convaincu que seule la capacit effective des magistrats du parquet d’assurer une action attentive et opportune dans tous ces domaines, et en consquence, l’appui social qui devrait en rsulter, peut empÃÂ'cher la destruction de notre modèle de justice.
Il est vrai que, dans certains domaines, le parquet n’a pas veill à la reconnaissance sociale de son travail, soit parce qu’il est, en ralit, effectivement faible, soit parce que, du point de vue mdiatique, on n’a pas russi à dvelopper une politique correcte de sensibilisation des citoyens.
Ce n’est pas un hasard si, jusqu’à prsent, seules les centrales syndicales ont manifest son appui au maintien des pouvoirs fonctionnels du parquet dans la juridiction du travail. En effet, c’est dans cette juridiction l’engagement des magistrats dans l’appui concret aux droits des citoyens est le plus facilement visible.
Un autre argument utilis par la doctrine de droite pour mettre en doute l’ide du parquet comme une vraie magistrature rsulte du fait que le Ministère Public portugais se voit confier, en parallèle, des fonctions d’avocat de l’Etat. Sur cet aspect, la doctrine n’a pas tort, mÃÂ'me si notre statut permet au procureur de demander le remplacement du magistrat du parquet par un avocat (au sens habituel), chaque fois que l’on est confront à une incompatibilit potentielle des valeurs à dfendre. Cela arrive frquemment, surtout dans les affaires d’accidents de la route, lorsque le Ministère Public accuse, devant la cour criminelle, le conducteur d’une voiture appartenant à l’Etat considr responsable d’un accident. Il y aurait videmment incompatibilit à cder à la demande de l’administration publique quand elle sollicite du parquet la dfense de sa position devant la cour civile ou pnale.
C’est prcisment à cause de cette ambiguït que le Syndicat des Magistrats du Ministère Public du Portugal a toujours lutt pour supprimer cette trange comptence du statut du parquet, malheureusement sans succès,
En ralit, un tel système n’existe à ce jour qu’en Uruguay. -
Avant tout, il faut comprendre les facteurs qui ont permis à cette tendance de remporter un certain succès.
Cette volution ngative a t possible, ou tout au mois facilite - car la sparation des corps de magistrats a produit une division dans la culture professionnelle des magistrats du parquet et des juges.
On n’a pas russi à assurer le dveloppement d’une culture judiciaire commune bien que la formation des juges et des magistrats du parquet continue d’ÃÂ'tre organise dans une mÃÂ'me cole et bien qu’une phase commune d’tudes et de stage se maintienne.
On a perdu, je crois, au sein des deux corps de la magistrature, le vrais sens de la juridiction.
Dans certains cas, les membres du parquet ont dvelopp une tendance pratique à sur-valoriser les objectifs de scurit au dtriment des valeurs de la justice. De leur côt, les juges ont choisi une attitude plutôt formaliste, ce que les conduit, parfois, à une position de simples arbitres, mÃÂ'me dans les cas o la loi prvoit et exige une intervention directe et engage du juge dans la ralisation de la justice matrielle.
De ce point de vue, l’intention de renforcer les garanties des citoyens devant la loi, qui tait à l’origine de la division des carrières, a t dtruite dans la mesure o division a appliqu, de manière mcanique, la ncessaire sparation des fonctions au sein du procès à la division organique des corps des magistrats, en faisant une division stricte.
Cette division stricte a produit des tendances culturelles et des visions sociologiques diffrentes à propos du but essentiel des activits des juges et des magistrats de parquet, ce qui constitue un obstacle à une vision dialectique et quilibre des valeurs en cause dans la procdure.
Cette diffrence de perspectives a produit finalement un blocage de l’efficacit du procès pnal.
Le mÃÂ'me phnomène s’observe aussi, bien que dans d’autres mesures, dans les autres juridictions.
Parallèlement, on a vu se dvelopper un ensemble de prjugs corporatistes et une guerre aveugle entre juges, membres du parquet et avocats. Ces dveloppements menacent le sens final de l’action du système judiciaire, sens final qui peut se rsumer dans le devoir d’aider à concrtiser dans la pratique les droits des citoyens. - Ce sont ces rflexions et cette exprience que je veux partager avec vous, car je crois qu’elles peuvent ÃÂ'tre importantes pour que vous apporter une perception largie des risques que comportent, pour la justice et la dfense des droits des citoyens, pense dfectueuse ou mal intentionne concernant la sparation de carrières entre magistrats.